Maîtresse des écoles, ancienne stagiaire ForProf confinée chez elle pendant la crise sanitaire liée au Coronavirus

Journal de bord d’une maîtresse confinée…

 

«Le début d’une continuité pédagogique improvisée

Tout d’abord, je vais faire une brève présentation de ma situation. Depuis décembre, je suis actuellement brigade dans une école avec des élèves de CE2/CM2.
Je suis T1 dans le langage de l’Éducation Nationale, cela veut dire titulaire première année. J’apprends en décembre que je vais avoir une classe à l’année de CE2/CM2. Je me dis « Ce challenge ! Un double niveau sur un double cycle… » J’ai peur, j’angoisse…
Plusieurs collègues que je connais dans la circonscription me disent que ce n’est pas une école facile.  Je me « blinde » comme on dit. Je prends cette classe, je ne laisse rien passer, je suis stricte comme disent si bien mes élèves. Mais je n’ai pas le choix, il faut que cette classe roule, il faut que les élèves développent, stabilisent des notions… Il faut aussi qu’ils apprennent à respecter les règles de l’école, les règles de la classe…

Je suis arrivée dans cette école, 7 remplaçants avaient été nommés sur cette classe. Mais ils n’avaient pas le poste adéquat pour y rester à l’année vu qu’ils étaient ZIL (remplacements courts). De ce fait, je reprends tout à zéro, les règles, le fonctionnement, les exigences, les stratégies d’apprentissage…
Puis à force de temps, mes élèves s’adaptent, connaissent le fonctionnement que je propose… Ils se mettent au travail, développent des attitudes, des aptitudes ; ils sentent que je ne vais pas les lâcher, que je vais être toujours là.
Je continue chaque jour sans relâche à faire respecter les règles, à faire planer un climat propice aux apprentissages. Je reprends mon petit Cyril qui bavarde, je motive encore mon petit Quentin qui a du mal à se mettre à la tâche, je sanctionne mon petit Olivier pour son langage un peu déplacé dans cette entité qu’est l’école mais je redouble d’efforts pour que tous mes élèves soient dans un bien-être constant. Je félicite quotidiennement leurs efforts même les plus minimes car c’est comme cela qu’on crée une relation de confiance.

Puis tout à coup, j’allume ma télé le 12 mars 2020 il est 20 heures pile. Toute la journée, on a parlé de ce moment si attendu. L’allocution du Président de la République concernant ce virus.
Le Président parle du coronavirus, des conséquences de ce dernier et puis le moment si attendu par tous les enseignants de France arrive… « A ce jour et jusqu’à nouvel ordre, toutes les écoles de France seront fermées ». Tout mon monde, toute ma période 4 s’écroule, tous mes objectifs fixés pour chacun de mes élèves s’éloignent…
Ma pédagogie est chamboulée… Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas comment aborder cette situation.

Mille questions me viennent en tête :
« Comment faire pour que tous les élèves suivent ? » « Est-ce que je donne du travail pour 3 semaines avec des photocopies ? » « Comment je vais contacter mes élèves ? » « Comment mes élèves ayant des difficultés vont pouvoir consolider et stabiliser leurs notions dans cet enseignement à distance ? » « Comment faire pour rattraper le retard que nous allons accumuler pendant ce temps de confinement ? » « Est-ce que j’attaque de nouvelles notions au risque de perdre des élèves et d’accroître les inégalités ? »

Après une bonne nuit de sommeil, je retourne à l’école avec une sensation étrange… Mes élèves sont eux aussi chamboulés, ils me posent énormément de questions…
Ils sentent que la fin de la période 4 sera très différente… Je leur explique qu’ils vont devoir travailler à la maison et que chaque jour je leur enverrai du travail à faire afin de stabiliser et consolider les notions.
Mais je vous avoue que j’ai un peu peur quand même...
Peur que des élèves décrochent, peur de ne pas être à la hauteur de la tâche demandée, peur de devoir reconstruire toutes les bases de mon enseignement, peur de l’après confinement… J’ai tout simplement peur de cette situation tellement inconnue pour chaque enseignant de France…

Lundi 16 mars : je me rends à mon école pour aider ma directrice à appeler chaque parent pour lesquels nous n’avons pas d’adresse mail.
Je rentre dans l’école et une sensation étrange m’envahit. La cour est calme, j’entends les oiseaux chanter, ils ont remplacé les enfants le temps d’un instant…

Pour assurer la continuité pédagogique, nous avons créé un blog pour partager le travail à effectuer chaque jour. Nous appelons au moins 50 parents dans la journée pour récupérer leurs adresses mail… Nous leur expliquons brièvement le fonctionnement de ce blog et les exigences de l’école concernant la continuité pédagogique.

Ensuite, tout s’accélère, le Président de la République nous demande de nous confiner pour une durée indéterminée.
J’ai en ma possession toutes les adresses mail de mes élèves, je leur envoie le premier travail à faire par mail et je poste ce dernier sur le blog de l’école. Notre hiérarchie nous demande de faire simplement des révisions afin de ne pas perdre nos élèves et d’assurer au mieux la continuité pédagogique.

Chaque jour, j’envoie le travail différencié à mes élèves de CE2 et de CM2. Tout cela accompagné d’encouragements, de bienveillance et de félicitations pour leur permettre de tenir sur la durée. Les élèves me renvoient leur travail, j’énonce quelques commentaires par rapport à ce dernier. Je prends en considération le travail de chaque enfant.

Les jours défilent… Ils se ressemblent néanmoins mes plans de travail sont de plus en plus ludiques faisant appel à des vidéos, des liens vers des exercices interactifs, des défis, des expériences en sciences… De plus, je leur propose des exercices à faire sur le cahier du jour avec la même présentation que lorsque nous sommes en classe. Cela leur permet de garder leurs habitudes concernant la méthodologie du travail demandé.

Mais les mêmes questions reviennent dans mon esprit : « Mais pour combien de temps encore ? Il me restait beaucoup de choses à revoir avec eux… Comment les CM2 vont faire pour le collège ? Et les CE2 pour le CM1 ? »
Je suis anxieuse, j’essaie de me rassurer en me disant que les enseignants des années suivantes vont reprendre les notions que l’on n’aura pas eu le temps de voir… Je positive et je me dis que la santé de mes élèves est très importante, primordiale et qu’il faut absolument être conscient du danger de ce virus.

Chaque semaine, je prends des nouvelles de mes élèves. J’appelle leurs familles tous les mardis ou tous les jeudis, parfois deux fois dans la semaine pour garder le lien entre l’école et les familles. Cette situation est atypique mais elle permet à l’enseignant de se rapprocher de ses élèves mais aussi de leurs parents. Ils nous expliquent comment ils perçoivent l’apprentissage de leur enfant et l’évolution de ce dernier. Ainsi, ils sont de réels acteurs de l’expertise des difficultés s’il y en a. Les parents de ma classe sont majoritairement investis dans la scolarité de leurs enfants.
Et j’en suis ravie.

De plus, je suis en communication constante avec mes collègues concernant l’évolution de la situation mais aussi les diverses questions que nous pouvons nous poser concernant cette façon d’enseigner.
Nous nous soutenons, nous rions, nous nous entraidons, nous nous félicitons…
Nous sommes une équipe soudée et motivée pour permettre à nos élèves d’être à la hauteur de cette continuité pédagogique tout cela en incluant leur bien-être et celui de leur famille.

Enfin, nous avons réussi les trois semaines ensemble. Nous avons eu des moments de doute face à cette situation inconnue mais nous avons toujours été là les uns pour les autres. J’ai toujours essayé d’encourager mes élèves mais aussi de les motiver, d’éveiller leur curiosité, de leur faire explorer des notions nouvelles qui vont leur permettre de s’ouvrir sur le monde demain, en somme j’ai adapté continuellement ma pédagogie… Je me suis énormément questionnée sur « comment moi en tant que parent je pourrais expliquer cela à mon enfant pour lui permettre de retravailler cette notion ? »

Oui, chaque enseignant de France n’enseigne plus de la même façon… Mais nous ne pouvons pas nier que nous n’avons pas développé de nouvelles compétences, changé notre paradigme pédagogique mais aussi notre façon de voir le monde, l’enseignement…

En somme, ma pédagogie a changé. Cette dernière est orientée vers de la stabilisation, de la consolidation mais aussi de la découverte sur le monde qui nous entoure. Celle-ci fait appel à différents outils numériques comme les applications pour travailler de façon ludique les notions mais aussi les vidéos. Les élèves adorent passer par la vidéo pour revoir la notion, de plus ils s’amusent grâce aux applications proposées par la suite.


Les vacances sont enfin là !

Nous avons relevé le défi de travailler trois semaines à distance.
Les vacances sont enfin là.
Mais elles n’ont jamais été aussi atypiques et aussi lentes… Néanmoins, elles m’auront permises de me retrouver, le temps d’un instant.

Comme chaque français et française, pendant ce temps de confinement et de vacances, je me suis questionnée sur beaucoup de sujets qui me tiennent à cœur. La pédagogie, le monde qui m’entoure, la société, l’Homme… J’ai énormément lu, j’ai pris ENFIN soin de moi. Ce que je ne faisais jamais d’habitude lorsque j’étais à l’école car j’avais toujours mes élèves dans un coin de la tête, je me posais toujours des questions sur tel ou tel élève. J’essayais toujours de trouver une solution pour chacun d’eux. En somme, ma vie se résumait pleinement à mes élèves et à leur bien-être.

Ce temps de pause est long, je vous l’accorde. Mais il est bénéfique pour comprendre que ma vision de la vie n’était sûrement pas la bonne avant le confinement. Je me suis promise de tirer les leçons de chacun des enseignements.

 


Les trois semaines avant le retour à l’école

C’est la rentrée ! Une rentrée atypique ! J’ai envoyé le plan de travail à mes élèves. Je sens que c’est compliqué pour eux, de passer des vacances à l’école sans changer d’espace… L’adaptation est compliquée mais ils sont très autonomes donc ils vont y arriver.

Ma façon de travailler a évolué. Sachant que j’ai participé au stage de réussite éducative pour les élèves ayant des difficultés la deuxième semaine des vacances, j’ai pu expérimenter la visioconférence sur le site du CNED. De ce fait, le maniement de cet outil m’a permis de percevoir de nombreux bénéfices.

Je me lance ! J’attaque les visioconférences la deuxième semaine de la rentrée. J’envoie une organisation aux élèves et ils participent à la visioconférence. Ces derniers ont deux fois visioconférences dans la semaine. Celles-ci sont axées sur les mathématiques et sur le français.

Cela permet aux élèves de se revoir le temps d’un instant mais aussi de percevoir la trajectoire des élèves au niveau des apprentissages. Grâce à cet outil, je peux aussi remotiver mes élèves, leur donner des conseils, des astuces, de la méthodologie pour qu’ils réussissent au mieux les exercices… C’est mon petit bijou pédagogique. Tous les jours, c’est ce petit outil qui me rend heureuse car je revois mes élèves, je vois qu’ils ont évolué, qu’ils ont grandi, qu’ils ont changé…


Le 11 mai ? La pré-rentrée ?

Le 11 mai, nous allons retrouver le chemin de l’école. Mais le chemin d’une nouvelle école, d’une école moins libre, d’une école vigilante, d’une école méfiante, d’une école dans le doute… J’envoie pleins d’ondes positives à tous les enseignants de France concernant la reprise du 11 mai.

De plus, à tous les enseignants de France, bravo pour votre investissement, bravo pour votre patience, bravo pour vos mots, bravo pour votre courage, bravo pour vos milliers de mails, bravo pour votre dynamisme, bravo pour votre créativité, bravo pour votre pas de côté, bravo pour votre changement de paradigme pédagogique, bravo pour tout !
Vous avez été de formidables enseignants pendant ce confinement comme à chaque moment de classe…


Une maîtresse passionnée mais confinée…

Propos rapportés par Queenie, ancienne stagiaire et lauréate ForProf.

Share this...
Share on Facebook
Facebook

Laisser un commentaire