Tout plaquer pour devenir prof’

Un après-midi de mai 2018. Mon mari et moi sortons d’une exposition au musée d’Orsay. Nous marchons dans le Jardin des Tuileries, sans, chose rare, aucun impératif. Il fait chaud, nous nous asseyons à une terrasse. Comme souvent, je parle de mon travail. Ou plutôt je m’en plains.

Car oui, j’ai 26 ans, j’ai fait une grande école, je travaille pour un think-tank dans un espace de co-working, avec des collègues adorables, un salaire confortable, une terrasse en rooftop où l’on va boire des cafés glacés après le travail, 6 semaines de congés payés par an que je passe aux quatre coins de l’Europe, des horaires relativement tranquilles. Et pourtant, la question qui m’occupe l’esprit la plupart du temps est : « à quoi bon ? » Quelle est l’utilité sociale de ce que je fais ? Quelle est ma plus-value ? Est-ce que je sers à quelque chose ? Est-ce que je me bats chaque jour pour les causes qui me tiennent à cœur ?

Ces questions se sont faites plus présentes à partir de notre emménagement en Seine-Saint-Denis, en 2015. J’ai commencé à y faire du soutien scolaire bénévole. Et je n’étais pas préparée à ce que j’y ai vu. J’ai été dans de bonnes écoles publiques de province, avec des professeurs majoritairement motivés et heureux d’être là, des élèves issus de CSP+, des locaux en bon état et des moyens. Je découvrais, à travers mon expérience auprès de trois petites filles de Seine-Saint-Denis, l’état des écoles et de l’Éducation Nationale dans un département pauvre et, il faut le dire, oublié. Pourquoi avais-je eu la chance d’avoir une éducation de qualité, dans des conditions exemplaires, et pourquoi ces trois petites filles, venant d’un milieu bien moins favorisé que le mien, n’y auraient-elles pas droit elles aussi ?

Alors cet après-midi de mai 2018, j’ai osé avouer à mon mari ce qui me trottait dans la tête depuis quelques temps : « je vais passer le concours pour devenir maîtresse en Seine-Saint-Denis ».

Pour essayer de changer les choses à mon tout petit niveau. Pour me sentir utile. Pour transmettre mon amour de l’école qui a marqué toute ma scolarité. Réflexions sûrement naïves et utopistes. Mais j’avais un but et j’allais trouver un sens à mon travail. Nous sommes fin mai 2018. L’aventure est lancée : dans moins d’un an, je passerai les écrits du CRPE externe public dans l’académie de Créteil.

Les sept mois passés à alterner entre travail et préparation au CRPE ont été les plus difficiles. Je rentrais du travail vers 19h30, souvent exténuée. Après une pause dîner, j’étudiais une leçon de maths ou une leçon de français chaque soir grâce aux manuels Hatier. Je m’accordais un soir de repos par semaine. Le week-end, je fichais jusqu’à 10 leçons en deux jours. Début mars 2019, j’ai quitté mon travail, sur les rotules. Il me restait un mois pour me remettre d’aplomb et finir ma préparation aux écrits. Les premières notes reçues suite aux concours blancs de ForProf étaient encourageantes, tout comme les commentaires des correctrices.

8 avril 2019, midi. Villepinte. Écrits du CRPE. Les candidats sont nombreux, mais je suis plutôt confiante. Je ne veux pas m’embrouiller les idées en relisant des fiches, je préfère discuter avec quelques candidates autour de moi. Vingt-quatre heures plus tard, c’est fini pour les épreuves d’admissibilité : advienne que pourra !

Je prends une semaine de vacances avant de me replonger dans les révisions pour les épreuves d’admission qui commencent fin mai. Et c’est finalement la période la plus compliquée qui commence : je repense sans cesse aux écrits, je ne parviens pas à réviser correctement les oraux, dont la masse de connaissances à acquérir me semble insurmontable. Je suis seule toute la journée devant mes fiches, je ne parviens pas à retrouver la motivation qui me porte depuis le début. Je ne pense qu’à une chose : le 25 mai à 12h, ce seront les vacances, après une course de fond d’un an.

Durant cette période, une lueur de bonheur : mon stage dans une classe de MS-GS dans une école de ma ville, pour tester ma séquence d’éducation musicale que je présenterai à l’oral du concours. Être entourée de ces 25 enfants adorables, de cette maîtresse bienveillante, me redonne confiance et me rappelle pourquoi j’ai emprunté ce chemin.

24 et 25 mai 2019. Saint-Ouen. Épreuves d’admission. Les oraux sont organisés dans une grande salle équipée de fines cloisons pour créer des box : les conditions sont loin d’être idéales, on entend notre voisin ou notre voisine passer son propre oral… L’oral d’EPS et de CSE, qui me faisait tellement peur, se passe comme dans un rêve. A la fin, les deux membres de mon jury m’encouragent : je leur ai dit que je souhaitais enseigner en Seine-Saint-Denis, ils me confortent dans mon envie en me disant que c’est un département qui a besoin de professeurs motivés mais conscients de la réalité de ce territoire. Je ressors gonflée à bloc. Le lendemain, oral d’éducation musicale, ma spécialité. Le jury est plus neutre, mais je me sens à l’aise.

Vendredi 7 juin 2019. J’actualise frénétiquement la page Internet des résultats. Le lien est ouvert. Je tape mon nom. Il apparaît. Je suis admise. Ma boule au ventre disparaît. Je jette un coup d’œil à mon classement. Sixième. J’explose de rire. Ces sacrifices valaient le coup. L’année prochaine, je serai maîtresse de moyenne et grande sections, dans ma ville. Nouvelle page.

Quelques petits conseils tirés de mon expérience un peu particulière – même si les reconvertis sont de plus en plus nombreux au sein de l’Éducation nationale :

* les livres Hatier sont complets et très bien faits. Pour ceux qui n’ont pas les moyens de se payer une formation complète en présentiel, je trouve que c’est un bon compromis. Je me suis contentée, pour les maths et le français, de ficher l’intégralité de ces ouvrages et de faire la quasi totalité des exercices.

* s’entraîner en condition de concours est indispensable. J’ai fait les concours blancs ForProf en conditions réelles : 4 heures sans pause et sans aide. Cela m’a rassurée pour le jour J, et surtout, cela m’a permis de vérifier que j’avais la bonne méthodologie – ou pas : pour le premier concours blanc de français, je suis totalement passée à côté de la première partie de l’épreuve. Je pensais pourtant avoir compris ce qui était demandé ! Heureusement, mes correctrices, en maths comme en français, ont été de très bon conseil et ont tenu des propos encourageants, ce qui m’a permis de redoubler d’efforts pour les concours blancs suivants et pour le concours en lui-même !

* pour les oraux, il ne s’agit pas de tout savoir par cœur, comme j’ai pu le croire à un moment, mais d’être capable de réfléchir face à une situation donnée et de montrer son positionnement pédagogique. En CSE par exemple, il n’est pas nécessaire de tout apprendre par cœur – à l’exception des règles de sécurité tout de même. J’ai préféré lire énormément, me documenter, réfléchir à des situations pouvant survenir en classe.

* il est important, je pense, de passer ce concours en étant certain ou certaine de sa décision. Professeur est un métier de passion, de persévérance, et surtout, c’est un métier qui demande un travail colossal, surtout les premières années. A l’heure où j’écris ces lignes, je suis à quelques jours de ma première rentrée, et j’y ai évidemment pensé tout l’été. Je pense personnellement que ce n’est pas un métier que l’on peut faire à moitié.

Inès

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